Kaija Saariaho

Installée en France depuis vingt-cinq ans après avoir étudié la composition à Helsinki (sa ville natale), Fribourg et Darmstadt, Kaija Saariaho est un compositeur mondialement reconnu. Bien que son œuvre comporte une part importante de musique vocale, l’opéra a longtemps déserté ses partitions ; elle s’en explique aujourd’hui pour Place(s) aux Jeunes.




J’avais dit un jour que je ne composerais probablement jamais d’opéra, et puis j’ai compris que c’était un problème de définition. Je trouvais à l’époque l’opéra artificiel, voire superficiel. Quand en 1989 j’ai vu la production de Peter Sellars de Don Giovanni, j’ai senti que l’opéra pouvait être autre chose, quelque chose de vraiment très profond, lorsqu’il était le lieu de rencontre d’artistes de domaines différents ; mais je craignais que ma musique ne soit pas assez dramatique pour en illustrer un.


Je me suis décidée après une représentation de Saint François d’Assise à Salzbourg, mise en scène par Peter Sellars. Encore lui… J’avais en tête cette histoire de Jaufré Rudel que j’avais découverte sous la plume de Jacques Roubaud, mais je ne savais pas qui pourrait l’écrire et surtout je n’avais pas de commande. Gerard Mortier m’avait déjà commandé le Château de l’âme pour le festival de Salzbourg, et quelqu’un m’a demandé pourquoi je ne lui proposais pas mon opéra. J’y suis allée sans être trop sûre de moi et il a accepté.

 
Le travail de composition est très long, et l’Amour de loin étant mon premier opéra, j’avais très peur de ne pas avoir le temps. Gerard Mortier avait annoncé qu’il quitterait Salzbourg un an avant la fin prévue de son contrat à la suite des élections législatives qui avaient porté Jörg Haider au pouvoir, et il me demandait donc d’avancer la création d’un an ! J’ai eu dix-huit mois pour écrire la partition, alors que je n’avais pas tout le livret. Nous avions travaillé ensemble avec Amin Maalouf, jusqu’à ce que nous trouvions un langage qui me convienne. Au début, il devait y avoir non pas trois mais cinq personnages, avec un couple comique extérieur à l’intrigue. Et puis nous nous sommes aperçus qu’il n’avait pas sa place dans l’histoire, alors Amin l’a remplacé par un chœur. J’étais très soulagée car je ne savais pas du tout quelle musique j’aurais pu écrire pour ce couple. Il m’est difficile de me situer dans la musique contemporaine. Il y a vingt ans, les courants étaient clairement définis : musique post-sérielle, école spectrale avec Gérard Griset et Tristan Murail, musique minimaliste américaine avec Steve Reich et Philip Glass… Maintenant tous ces courants se mélangent, y compris avec la musique rock ou ethnique, ou d’autres musiques populaires. Je suis assez isolée dans mon travail, et c’était déjà le cas en Finlande.

 
J’ai d’abord composé la partition d’orchestre, puis j’ai ajouté les parties électroniques, qui sont finalement une prolongation de celle-ci. Ce sont des sons de la nature enregistrés puis reproduits et spatialisés. Je considère que la forme et le matériau sont indissociables : je définis l’idée formelle avant la composition, puis je traite la musique. Il y a des éléments formels, comme l’harmonie et les contrastes, qui sont toujours d’actualité aujourd’hui ; mais les formes ne sont plus inscrites dans le marbre comme autrefois. C’est l’une des raisons, je pense, pour lesquelles je ne pourrais pas composer aussi rapidement que mes prédécesseurs : chez Rossini par exemple, les contraintes de forme étaient si lourdes qu’une partie de l’écriture était composée de passages obligés. Ce n’est plus le cas aujourd’hui.

 
J’ai beaucoup aimé la préparation de la création à Salzbourg. Contrairement à une création orchestrale, où on répète quelques jours simplement, cela dure ici plusieurs semaines, avec une véritable étude de la musique. C’est une aventure passionnante même si elle est épuisante, et c’est d’ailleurs parce que j’étais nostalgique de ces quelques semaines que j’ai accepté de composer un deuxième opéra. Je souhaitais parler de la maternité, je pensais avoir des choses à dire sur le sujet, et Amin pensait aborder le thème de la guerre, qu’il a vécu personnellement. Gerard Mortier m’a appelée alors qu’il venait d’être nommé à l’Opéra de Paris, et m’a passé une nouvelle commande pour Adriana Mater.

 
C’est très ironique, j’ai passé tant de temps à chercher mes livrets d’opéra pour finalement revenir à des histoires d’amour et de mort ! Je suppose qu’il fallait simplement que je trouve les histoires qui sauraient me toucher…

 
Kaija Saariaho a créé dernièrement à Boston un concerto pour violoncelle qui sera repris à la Salle Pleyel le 13 mars 2008 pour sa création française. Il sera accompagné d’une pièce pour soprane, violoncelle et grand orchestre, commande de Karita Mattila.